COMMUNICATION
RIC III
LA
CONNAISSANCE
SUPRA-RATIONNELLE
EXPÉRIENCES
VÉCUES
DE
LA NATURÉALITÉ
1
- La nécessité et le devoir de connaissance
A
- Le devoir de connaissance
B
- La connaissance non-intellective
2
- La voie personnelle supra-rationnelle
A
- La mise en abîme
B
- La lucidité
3
- Approches préliminaires
A
- L'épreuve du premier pas
La
mise à nu / la solitude / le
silence / « l'inaction » active
/ la simplicité / le temps
B
- Le « vide »
4
- L'ascèse purgative
A
- L'épreuve du miroir
B
- L'expérience de la mort
C
- L'ouverture au réel actif
5
- L'épreuve du point central
A
- La mise à jour
B
- Le surgissement, expérience unitive de l'intelligence totale
6
- Le connaissant
A
- Le né-nouveau
B
- Au
delà du bien et du mal, du vrai et du faux, du juste et de
l'injuste
7
- L'insertion du connaissant dans la société
LIENS
et voies de recherche pour aller plus loin
Ayant
posé l'incognoscibilité de la réalité intrinsèque par
l'intellect rationnel et les seuils du savoir intellectif -
trompe-l'œil qui corrompt l'expérience exacte de la réalité, nous
concluons que la réalité ne peut se concevoir entièrement et
exclusivement par la vision distinctive mais qu'elle devrait être
vécue par identification, par connaissance unitive,
non-intellective, immédiate et indifférenciée qui porte en
elle-même sa preuve, son évidence de témoignage, irrécusable pour
les personnes ayant vécu cette expérience indicible, sans la
possibilité de la décrire avec les mots du quotidien.
Après
la mise à la question de la nature de la réalité, abordons à
présent un domaine réservé jusqu'alors à la métaphysique ou à
la philosophie des spiritualités. Le modèle quantique théorique
que nous avons élaboré nous permettra de mieux comprendre comment
certains ont pu écouter puis vivre la naturéalité, l'expérience
directe de la nature de la réalité, sans passer par le passage
obligé croit-on de la pure rationalité.
Le
devoir premier du biotype humain est l'acte impératif d'ouverture au
concret, la remontée conscientielle vers le centre. Cette poussée
existentielle afin de s'élever à la plus parfaite maîtrise du réel
et à l'efficacité la plus saisissante des outils et des
technologies d'investigation, est immanente à notre condition
biotypique dans sa marche vers l'Est, où le Soleil prend sa source,
vers l'Être, vers la pleine entière connaissance. Il n'y a pas de
plus haut devoir que de chercher à réaliser la délivrance de
l'ignorance, de se réveiller de ses rêves, de se re-muer, de
s'élever vers le centre où se comprend l'univers. De seuil en
seuil, en paliers irrésistibles de sens, l'objectif humain a
toujours été de rencontrer et de vivre la loi universelle qui donne
sens à la vie.
La
différentielle d'évolution des hommes se situe dans le degré de
connaissance, d'ouverture à l'espace d'intelligence du monde.
L'intensité du degré d'existentialité de chaque individu est
fonction de cette présence à soi-même perçue ou vécue hors
temporalité, hors étendue, au-delà des limitations historiques...
Un tel devoir de connaissance est très exigeant et très difficile à
contenter. Il exige d'abord de ne se soucier que de sa propre
perfection conscientielle et de ne pas se laisser distraire par le
coassement incessant des raisons qui se contredisent. Pour soi-même
d'abord et afin de pouvoir un jour communiquer sa connaissance et
aider, éclairer ceux qui pataugent dans le noir. Seul l'affranchi
peut affranchir. Un aveugle ne peut mener d'autres aveugles qu'aux
falaises du suicide.
III
- 01 - B - La connaissance non-intellective
Il
y a des réalités et des dimensions qui ne se comprennent
qu'expérimentées, vécues, bien au-delà de la réduction
rationnelle empreinte des conventions mentales et des préjugés de
l'époque, quelle que soit sa valeur de lucidité et d'impartialité
critique. La connaissance supra-rationnelle n'est pas une
assimilation intellective. Le regard ne l'atteint pas. C'est la
pénétration nutritive, un état qui bouleverse le regard, qui
devient seul témoin de lui-même. La connaissance non-intellective
est insondable par la raison discursive. Accéder à l'expérience du
réel entier, au plein-être, ne peut l'être que par une logique
supra-rationnelle qui n'a besoin de nul argument, qui est une
certitude au-delà des probabilités.
La
voie est strictement personnelle. Gnoséologie de l'œil immédiat,
elle s'éveille à l'intelligence du monde. Claire conscience de
l'identité essentielle de la vie et de ses perspectives
universelles, cette expérience unique dans un déclic de conscience,
reconnaît la nature réelle de la réalité universelle, vécue dans
son absolu. Là, reconnaître, connaître, c'est naître,
intériorisant en soi l'univers. L'étant devient ferment de
l'Être-Tout.
SUPRA-RATIONNELLE
Toute
démarche cognitive rationnelle dépend des gradients de croissance
et des paliers d'expériences individuelles. L'exploration de la
réalité est différentielle quand on l'explore selon ses propres
perspectives culturelles. Et chacun formule sa vision intellective
selon ce qui lui convient le mieux. Mais la démarche cognitive
supra-rationnelle est unique dans sa voie et dans son résultat
final, - quels que soient les termes employés pour l'exprimer.
Les
moyens d'accès à cette très exigeante cognition sont divers,
souvent déroutants. Parfois brefs, abrupts, plus souvent longs,
étroits, progressifs. Pour atteindre la racine du supra-logique, les
uns choisissent la voie droite, d'autres les sentiers. Il y a autant
de moyens que de tempéraments. Les uns vont de la connaissance des
parties et de l'expérience des formes, jusqu'à la saisie simultanée
de l'ensemble dans ses corrélations organiques. D'autres accèdent à
la saisie immédiate de l'ensemble.
Le
comment ?
Mais
comment apaiser le cortex cérébral et réveiller le centrencéphale,
porte de la surconscience et s'approcher de cette identification qui
est la voie droite (la verticale) décrite ainsi par rapport aux
voies de la dispersion intellectives (horizontales) ? Comment passer
de la relative inconscience à la pleine et entière sur-conscience
qui surgit du centre de l'être, au cœur de la présence à soi,
dans le plein silence d'une intériorisation radicale ?
Les
disciplines d'accès à la voie unique d'absolue liberté sont
multiples et toutes aussi exigeantes. Dans les ascèses
d'auto-ensemencement, d'ascension progressive vers le centre, toute
opposition s'évanouit. (Ce ne sont pas des techniques d'extase mais
d'enstase). Elles exigent d'avancer au-dessus de la mêlée, de la
lutte entre les opinions, tous préjugés arrachés. Car on ne voit
pas clairement lorsqu'on est plongé dans le brouillard des
discordances. Mais monter au sommet, au-delà des apparences et des
cloaques d'incertitudes, n'est pas donné à tout le monde.
Porter
donc sa lampe sur son front, ou, mieux, on est sa propre lampe pour
avancer. On n'avance que seul dans la voie strictement personnelle de
la redécouverte expérimentale intime de la réalité. Et le chemin
qui est unique, le sien propre, et qu'on n'empruntera jamais deux
fois est toujours à trouver. L'initiateur, le guide, quand il y en
a, montre la voie la meilleure, selon son expérience propre. A
chacun d'assumer alors sa liberté. Chacun est son propre témoin. Et
sa propre voie.
Commencer
par reconnaître l'encerclement, c'est déjà le dépasser. Certains
tempéraments préfèrent le centre à la circonférence, le
permanent au transitoire, la racine aux branches. Moins on s'éloigne
du centre, moins on se perd dans les malentendus des logiques
explicatives rationnelles souvent contradictoires.
Pour
lever le voile, il faut au préalable ouvrir les yeux sur ce qui
s'écroule, dans le dépouillement progressif de l'opacité,
démasquer sa propre comédie, détruire les prisons par soi-même
construites et se vider de toute illusion impulsive, bruyante,
paralysante. On est tous dans un état de mensonge, de désaccord,
d'angoisse, car possédés par nos propres facultés rationnelles,
nos libertés relatives, nos avoirs, nos conflits, et nous aspirons
tous à l'accord, à la sérénité. Mais cette voie est difficile.
Toute
descente en soi est ascension vers le centre et assomption. Ainsi,
d'éveil en éveil, et toujours au sommet de soi-même, repousser ses
limitations à l'infini. Dans sa préparation progressive, chacun
dans cette voie commence par acquérir la maîtrise de ses sens et
par essayer de joindre son centre - pour muter hors du cercle, en son
centre, à la verticale de son centre. Mais rien n'est atteint que sa
propre maîtrise.
Reconnaître
la relativité des valences demande du courage, peut-être une
certaine inconscience. Toutes les relations événementielles
biotypiques sont relatives par rapport à l'invariant fondamental, la
vie. Réussir dans ce domaine, c'est souvent échouer. Se nourrir,
c'est survivre pour être à nouveau affamé. Qui saute, retombe.
L'éphémère ne vit qu'un demi-jour. L'isolement subjectif est une
illusion de l'arbitraire humain.
Sur
les périphéries, les distances d'autocorrélation (grandeur qui
rend compte de l'ordre existant à différentes échelles de
distance) sont parcourues lentement, graduellement. Sur le mat
central, la distance verticale est relativement rapidement parcourue
et toute distance d'autocorrélation disparaît. Il n'y a
d'oppositions irréductibles qu'en apparence. En fait, il n'y a que
des complémentarités. Les oppositions se résolvent
harmonieusement. Tout, finalement, concourt à l'harmonie.
Seul
un homme affranchi, dépouillé de l'obstacle des métaux, de
l'argent qui divise, du fer qui rouille le cœur, de l'orgueil
futile, des préjugés, des opinions toutes faites, peut aspirer à
la connaissance unitive. Il lui faut donc déposer ses métaux,
quitter son nom donné, rompre avec son ancienne identité, ne plus
regarder en arrière. Le détachement dans la nudité est une règle
de vie et non un geste occasionnel. Le détachement est un
raffinement intime dans la netteté, la sobriété et la tension
vigilante, toute la puissance d'être en éveil. Renoncer à tout est
la condition pour se réjouir de tout et d'un rien. C'est une œuvre
de clarification. Les moines vivent ce détachement du monde pour
mieux s'attacher à l'essentiel.
La
dénudation préliminaire est l'épreuve du premier pas. On se
définit (car on est généralement absent de sa totalité), on
s'assume nu, sans déguisements. Si l'on refuse de s'accepter nu, là,
face à soi-même, c'est que l'on refuse de reconnaître sa réalité
entière et de s'extraire de l'équivoque. Apprendre le dénuement
est d'une difficulté extrême. Le dépouillement matériel,
intellectif et affectif demande un effort de lucidité
particulièrement dur. N'importe qui ne peut avoir la motivation
nécessaire pour se déblayer, se dépouiller jusqu'à l'extrême
nudité de tout état convulsif, tendu, factice, qui s'épuise en
diversions, pour se détacher de tout - et même du détachement.
Tout attachement est une limitation. Dénouer son corps et son
esprit, dissoudre les nœuds de l'individuation dans l'abolition
continuelle des limitations, est complexe, ardu, et souvent sans
aucune garantie de résultat...
S'isoler
afin de se défaire et se refaire est un acte de renoncement
inaugural. L'individu, s'il se mélange à la masse des autres
individus, ne se pense plus. Il est agi. Afin de se désaliéner, il
doit s'extraire de la société, mourir (provisoirement) au monde.
Cette exclusion volontaire dans une solitude radicale, hors laquelle
il y a toujours une aliénation est une épreuve. Tout quitter exige
un caractère bien trempé.
En
marge de la société, le cherchant s'absorbe en lui-même, en son
noyau, pour se retrouver et vider le calice de sa condition
biotypique jusqu'à la lie. La solitude est la condition fondamentale
pour une véritable naissance à soi, pour une authentique qualité
d'être, afin de pouvoir vivre le plein-être, la plénitude de sa
densité existentielle.
Par
la pratique du silence, en désapprenant à parler, le cherchant
s'écarte des agitations mentales, ne se disperse plus en futilités.
Il se place au centre de sa sphère, récepteur attentif au réel.
Son silence n'est pas mutisme, mais acte. Tout parle à qui sait
écouter dans le silence relationnel. Cultiver le silence pour élever
sa voie, c'est reconnaître que la parole enferme, corrompt. Qui
parle trop, ment. Qui ment a peur. Le silence tranquille élimine la
peur.
Toute
expérience intime est, de par sa nature même, incommunicable. On la
garde en soi, non par vanité, pour conserver un privilège dans la
volupté du secret, (facilité adoptée par les naïfs qui jouent au
mystère), mais parce qu'elle ne serait pas comprise par tous. Qui
comprendrait la formule E=mc2 décrivant une loi de la
nature, autres que ceux qui sont déjà initiés aux connaissances
mathématiques ?
« Je »
donc « je suis ». Le « je suis » est une
expérience existentielle originale. Et pour retrouver, vécue, son
identité première, il faut cesser toute affirmation intellectuelle
de soi et vivre son silence.
Le
silence aide à se préparer sans violence, sans crispation, sans se
comprimer. Un minimum d'effort est requis pour un maximum
d'efficacité. La boue commence à se déposer, sans efforts, sans
agitation. On n'ouvre pas les portes de la connaissance à coups de
pieds. Pour défaire les nœuds (par soi-même formés, par sa propre
confusion), on ne les tire pas en tous sens pour les entortiller
davantage, mais on commence par les défaire l'un après l'autre.
On
y arrive sans humilité, artifice de l'orgueil, mais dans la
simplicité qui affronte les obstacles et déjoue les ruses de la
raison. La réalité est simple. On la complique par inattention au
réel. La simplicité est gratuité totale, don complet de soi-même
à la vie.
Rien
ne presse. La durée importe peu pour une telle expérience
cognitive. En se soumettant à la durée, on perd l'instant. Le
bonheur n'augmente pas en proportion de la durée, vite résolue. On
n'additionne pas les jours. On ne mesure pas le temps vécu. Il est
assentiment à la nécessité, plein accord harmonieux, consentement
total à l'avènement. La dimension chrono-spatiale habituelle se
dissout à mesure que l'on devient soi-même plus intense, que l'on
ne vit que les intensités existentielles et que tout instant se
trouve pleine intensité.
Ne
plus désirer être plein de savoirs mais libre de savoir, c'est le
plus redoutable des obstacles. Dans cette voie étroite, le cherchant
doit apprendre à désapprendre, à se défaire des opinions reçues
et enregistrées, momifiées, des pensées inachevées, source de la
servitude aux actes inachevés. Il lui faut se dégager des rites,
des écritures et des spéculations.
Renoncer
à l'étude intellective, écarter toute intellectualité, toute
conscience discriminante, c'est se délivrer de l'inquiétude, source
d'effondrement qui vous tord dans l'agitation factice. L 'expérience
intime de la connaissance supra-rationnelle est suscitée, justement,
non pas pour comprendre intellectuellement mais pour ressentir un
état, par-delà le savoir, toute référence dépassée. Comme
l'expérience amoureuse relationnelle, elle n'est pas réalisable
tant que les moyens utilisés sont strictement rationnels. Découvrir
la réalité n'est pas essayer de la formuler. Et d'ailleurs comment
modeler la nature à notre étroite convenance ?
Eliminer
le vouloir tentaculaire, c'est se dépouiller du vouloir intellectif
et des habitudes mémorielles, se soustraire à la rationalité (s'y
complaire serait s'asphyxier tôt ou tard), se dés-intellectualiser,
se désenvoûter. Se vider des mots (l'habitué aux mots s'habite de
maux), du vacarme des mots insensés qui alimentent l'angoisse, et se
délivrer des rets de la parole mondaine pour retrouver sa propre
parole. Trop longtemps, chacun a été capté par les mots, a été
leur captif. Chacun a cru pouvoir se sauver par d'autres mots pour
combler sa vacuité aussi bien que son ignorance, tout en étant
possédé par ce qu'il a cru pouvoir posséder...
Aller
sans but, sans chercher à atteindre ou à trouver absolument un
quelque chose de définitif, une formule magique qui expliquerait
tout. Etre dans un équilibre a-tensionnel, sans se soucier ni de
comprendre ni de savoir ni de saisir, exige une ascèse qui nous
porte au-delà des choix embarrassants, sources de confusion.
Prédéterminer l'objectif, définir l'itinéraire factuel à suivre,
acquérir la compétence opérationnelle sont du strict domaine de
l'intellectualité. Là, toute compétence, dans l'ignorance du
dénouement final, se perd dans l'angoisse de l'incertitude des
conjectures souvent fausses et des voies éphémères. Il est certes
périlleux de voyager en mer sans compétence et sans destination.
Mais hors cet étroit domaine réservé à la rationalité, aller
sans itinéraire, dans l'ignorance des buts, c'est laisser le
« but », nous porter, tant est qu'il y en ait un, comme
le magnétisme du pôle oriente la boussole.
Il
n'y a donc rien à atteindre, à trouver, à acquérir. C'est la vie
qui nous trouve, nous illumine de sa réalité, de sa nature
énergétique, qui nous prend, nous défait, nous refait, notre
entière identité vraie retrouvée. Il n'y a donc pas à saisir la
réalité puisque nous la sommes. Mais, distraits, on s'en croit
séparé. Tout est là. Nous sommes tous la vie. Comment, dès lors,
étreindre ce qui nous fonde ? Les questions sont sans point
d'interrogation. Et la réponse y est soudé. Mieux, la réponse est
dans la question. Elle est la question. On n'apprend rien
intellectuellement dans cette voie, mais, au bout, on sait tout et
peut-être qu'on peut tout.
Toute
connaissance est toujours présente en soi. Elle n'est pas distincte
de nous. La réponse à tout préexiste, au fond de soi, à toutes
les questions. Rien n'est jamais atteint. Il n'y a rien à acquérir.
Il y a seulement à effacer les brouillards, les brouillages, à
essuyer nos vitres. Nous sommes la réalité. Elle est où nous
sommes. La réalité est là, nulle part ailleurs. Il n'y a même pas
d'ailleurs. Mais, distraits, nous ne le savons pas.
C'est
l'épreuve dissolvante dans la terre de l'être. Cette mise en abîme,
catharsis épurative préalable à toute réalisation, est le moyen
pour mettre à jour son identité originale dégagée du fatras des
masques, pour s'y retrouver, s'y reconnaître, s'évaluer et centrer
sa vie. Comment dégrossir la pierre brute pour qu'elle devienne une
pierre cubique – une pierre d'angle ?
Cette
ascèse est remémoratrice. Revivre sa vie, se récapituler pour
avancer et ne jamais plus capituler devant les facilités et les
diversions, c'est dessiller ses yeux, reconnaître ses limites, ses
seuils, reconnaître en toute lucidité rationnelle, l'inanité des
efforts pour contrôler la vie, sa vie, et que lutter c'est
s’agripper à des nuages. Retranspirer la condition humaine, la
faire suer, gicler, et se démultiplier, sans jamais valoriser la
souffrance, est une gageure. Déraciner en soi les racines du
mal-être, s'arracher aux impasses, aux défaites, aux agonies,
écarter tout obstacle, défaire les accumulations, agitations,
violences, avidités, angoisses, mirages adorés, certes, afin de
dégager le chantier, ne se fait pas d'un coup de plume magique.
S'épurer
de ses inhibitions, les dissoudre, purger certains comportements,
dé-noircir son esprit, renoncer à l'étroitesse de toute
restriction mentale et faire table rase, se désengager vis-à-vis de
toute précédente identification, convention, classification, bien
peu y arrivent. Se détourner du chatoiement apparent par un
détachement progressif de l'intellectivité, s'évider, ne
s'attacher à rien, se dégager des contingences, se déconnecter, se
dessaisir, aboutit à se déprendre pour se joindre, se déconstruire
pour s'instruire et se reconstruire, se dissoudre pour s'unir à soi
- et pour s'élever.
Se
transformer de reptile en phénix. Mais comment se désintoxiquer par
une descente - toujours angoissée - dans la matière humaine, le
mal-être dilué, dissolvant, la souffrance, le pourrissoir, la mort
et le mourir, par l'expérience immunisante du grossier, du dégoût,
de l'horreur, de la douleur, de la révolte, du supplice du doute
pour devenir imputrescible, incorruptible ? Très peu de gens
peuvent arriver à se désacraliser par le passage par la douleur
pour pouvoir gravir, en toute lucidité, les marches du renouveau,
pour la remontée solaire, la sortie de l'isolement, de la douleur,
de la crainte, de la nuit, le retour à la chaleur humaine. Arriver à
se séparer de son corps par le regard, à assister à sa propre
existence, puis à se délester de la pesanteur du corps encombrant
et s'évacuer, si c'est une nécessité pour atteindre ce qui ne peut
être autrement atteint, demande une lucidité et un courage
extrêmes. Le vide central permet seul l'utilisation d'une roue, d'un
vase, d'un bâtiment. Un vase n'est utile que vide. Il est
indispensable donc de le vider de l'eau grasse pour le remplir d'eau
pure.
S'abîmer
dans la pesanteur, l'enfouissement, est la base de toute initiation.
Le grain ne lève que s'il est tombé en terre. La terre ingère le
grain pour le restituer plante. Et ce, quel que soit le temps mis à
décanter. Quiconque est incapable de se relever et de se régénérer
s'auto-élimine. L'épreuve, pour atteindre la « preuve »,
peut être mortelle.
Au
postulant d'accepter de mourir plomb pour renaître or, brisant sa
carapace et émergent à l'entière réalité. On ne peut renaître à
l'intégralité qu'en se trempant dans le sang du courage. Comme
l'acier. Initier, c'est apprendre à « mourir » pour
renaître, le corps délié, maîtrisé ; c'est apprendre à quitter
le vêtement usé pour se revêtir de son identité entière,
originale, c'est apprendre à oser la mort, briser l'encerclement, le
zéro, la nullité, mourir à son passé pour naître hors
temporalité. Mourir à soi, c'est tuer la mort... Connaître la mort
est indispensable pour connaître la vie. La mort est sans d'autre
victoire que sur soi-même, dépassement mutatif - que la
quotidienneté éprouvera désormais. Dur apprentissage qui trempe le
caractère. Il n'est pas donné au premier venu d'exprimer la mort en
l'intégrant - puis de s'arracher au cadavre, à la douleur. Tout
meurt pour renaître autrement, certes, mais le passage à travers
soi-même vers soi-même est un chemin que bien peu osent
entreprendre. Le cœur s'y enlise, se brise ou se bronze. Qui se
relève de l'épreuve du charnier a pris conscience de ses limites et
les a surmonté. Des cendres jaillit la rose.
Toutes
ces libérations ne sauraient être répétitives. Elles n'arrivent
qu'une seule et unique fois. Le déclic est unique.
Au
moment du déclic, on se sent s'ouvrir, disponible, à la réalité
active, se larguer dans l'universalité. L'autre rive, la verticalité
du centre, le mat, est au cœur de nous-mêmes. Se placer ainsi dans
l'universel, hors d'atteinte, au-delà des conditionnements
spatio-temporels habituels. Les soliloques cèdent. La pensée se
tait. La mémoire oublie. L'être en nous se suspend, sans désirs,
sans impatience ni attente, en parfait état amnésique. Hors temps.
Hors risques et périls. Souverainement libre.
A
ce moment infini, l'être se réfléchit en réfléchissant (i-e
reflétant) toutes les sensations et les émotions, en étant
perception pure, comme un miroir, toute buée résorbée, jusqu'à se
libérer même de la conscience de la réflexion. Ce calme serein (le
non-agir) n'est pas inertie, mais dynamie centrale de l'être.
Il
écoute la naturéalité avec des oreilles toujours plus parfaites
pour entendre jusqu'au silence, jusqu'à ne plus en avoir besoin. On
est autant dans la nature qu'en soi-même. Il regarde avec des yeux
toujours plus parfaits jusqu'à arriver à voir sans lunettes et sans
yeux, plus loin que les limitations physiques, voir par l'œil
immédiat jusqu'à nommer sans regarder. Il sent avec des organes
toujours plus parfaits jusqu’à arriver à pressentir sans contact
la nature des choses et des êtres. Et enfin, il parle sans paroles,
rayonne par son silence. Il a pu ainsi se recueillir, se joindre, et
relier, harmoniser entre elles, toutes les parties de son être, pour
se centrer par sa matrice en lui-même.
Il
se concentre sur sa voix, en une prise de conscience phonématique
active, réactualisant en soi l'énergie phonique, la valeur
acoustique des sons et s'y identifie afin de se fondre dans leur
portée. Les phonèmes n'agissent pas d'eux-mêmes, mécaniquement.
Ils sont portés par la conscience qui en assimile l'énergie en les
prononçant. Les phonèmes ne vivent que réalisés psychiquement et
non pas récités en tant que sons empiriques audibles. Leur sens se
situe au-delà du langage et au-delà de toute prononciation.
Il
s'identifie progressivement aux niveaux de plus en plus hauts du
plenum énergétique jusqu'à s'y dissoudre. De la modulation sonore,
attention entière au réel, il atteint le silence plein sève qui
nous ouvre au jaillissement qui nous ravit.
III - 05 - L'ÉPREUVE DU POINT
CENTRAL
On
trace la circonférence d'après le centre, nœud de toute
architecture. Et le centre est partout, en tout, pour qui sait voir.
Le cherchant se fait fleur pour comprendre, vivre la fleur, arbre
pour comprendre, vivre l'arbre, ses racines, son devenir... Se fait
peau-frontière pour comprendre, vivre sa liaison et sa séparation
avec l'environnement... Expérience renouvelée de communion,
d'identification. Intensifiant son regard, le cherchant déplie le
temps pour le resserrer, intensifie la distance jusqu'à l'abolir.
Ainsi, peut-il se rencontrer, se situer entier en chaque partie de
son être, du corps universel.
Il
se redonne corps et lien. Se refonde, libéré de l'attraction
tellurique. Se reconstruit en dimensions réelles.
S'auto-reconstitue. On ne naît pas pour mourir. il passe du
détachement du « IL » au « JE » axial, puis
au « NOUS ». Et retrouve ainsi son propre nom.
Cette
mise à jour de soi s'opère dans l'identification progressive à
différentes formes d'énergie, où chacun puise sa force
ascensionnelle. Catalyse impérative par effet d'autofécondation qui
augmente la puissance de maîtrise supra-rationnelle. Transmutation
qualitative pour une élévation à la surconscience. Dépassement de
la dualité sexuelle vers l'unité plexuelle.
Le
seuil est bientôt franchi. Mais on n'en a pas conscience. La
croissance est une activité spontanée, libre de volonté.
L'approche est lente, progressive. Et, comme l'évolution rythmique
cyclique, elle accélère brusquement jusqu'à l'explosion. Mais
comment, avec quels mots, dire cette expérience unitive ?
Le
jaillissement nous prend, fulgurance paroxystique, jouissance entière
d'être. Puissance irrésistible de saisissement à l'extrême limite
de soi ainsi peut-on définir l'enstase - l'expérience du Soleil. Ce
séisme, effaçant tous les codes humains, nous ouvre à l'écriture
directe du monde, au surgissement à soi d'une immédiate et totale
appréhension de la réalité dans sa nature. La surrection
énergétique, sur-logique, saisit directement, dans son acuité
immédiate, l'évidence solaire, l'identité de la vie. Elle est
mutation intégrale dans la submersion dans l'immanence, connaissance
intégratrice dans l'évidence vécue de l'immanence, de l'absolue
concrétion des univers. Elan de synthèse vécue, l'enracinement
dans l'absolu immédiat nous retrouve tout embrassant, un dans l'UN.
Tout est soi en nous.
L'adhésion
totale au présent dense continu dans sa plénitude éprouvée est
comme l'amour intégral, infaillible, immédiat. Le présent est vécu
présence, intensité hors temporalité, Tout-Être dans l'entière
jouissance de ses racines, présence à l'immensité unifiée en soi.
Plénitude unitaire indicible, l'amour ne pense pas. Lucidité
supra-logique, dépassant toute expression, la plénitude est au cœur
de la présence nue. Tout est une seule vie. Tout EST ÊTRE.
L'expérience
unitive est entière présence à soi où l'on se vit catalyseur
énergétique du cosmos, comme toute graine est un corps en acte de
racine. Le pouvoir de la Nature est vécu entière cause de soi,
regard entier qui constitue l'univers. Centration sur l'instant
unique, sur l'intelligence du moment unique pulsant, créatif,
centration sur l'intensité, lieu nul, absolu, de pure présence,
l'expérience unitive est la fusion communielle unitive orgasmique,
hors durée, parfaite instantanéité dans l'impermanence. Présent
entier, riche de tout le devenir infini. On ne peut s 'y installer.
Le temps s'abîme, l'espace s'annule. Temps et espace se résolvent
dans leur anéantissement surmonté dans l'infinitude...
Cet
état est sans conscience de soi. Si je sais que « je dors »,
je ne dors pas. A peine sait-on soi-même, au réveil, qu'on a
réalisé cette expérience. Et à peine les autres s'en rendent-ils
compte. La plénitude n'est pas solennelle et ne s'accompagne pas de
fanfares ou de tonnerres. Elle est vécue en toute simplicité. Cette
expérience communielle nous investit cependant de l'autorité
irrécusable d'une connaissance achevée, éprouvée, de la nature
réelle énergétique de la réalité, de l'intelligence reliante de
l'univers. Cette connaissance salvatrice seule fonde l'entière
liberté, en paix d'être. Certitude absolue résorbant toute
angoisse, toute résignation, tout acquiescement. Omniscience. Rien
ne résistera désormais à son regard.
On
cesse dès lors d'être cet individu identifié à son corps, à son
nom, à ses avoirs, à ses habitudes, à l'image complaisante qu'on
se fait de soi, - pour s'identifier à l'Être-Tout. Et on se révèle
à soi-même tel qu'on est de toute éternité. Originalité
incomparable et définitive en état infini d'être. Chiffre, nom
singulier, assumant sa pleine responsabilité universelle, témoignage
de sa propre infinitude.
Cette
tension d'être, ce jaillissement pulsionnel, n'est pas auto-hypnose
ni le résultat d'un travail imaginatif discursif. Cette expérience
unitive est une expérience d'amour. Elle n'est pas extinction de
conscience mais supra-conscience, surconscience. Elle n'arrache pas
au monde, ou se néantit dans le « vide », le néant ou
l'absence d'être, mais elle se parfait dans une renaissance à soi,
au monde. Et il n'y a plus, dès lors, expérimentateur, expérience
et aboutissement, mais intégration fusionnelle, intelligence claire
de l'univers.
Notons
que cette expérience unitive n'est pas exactement une réunion, une
communion. Car réunion et communion impliquent dissociation et
pluralité. Et il n'y a de différenciation et de transcendance que
dans les rapports superficiels entre des objets différenciés. Ils
disparaissent au fur et à mesure que les distances d'identification
se rétrécissent.
Accéder
à la connaissance du réel absolu dans une fulguration de conscience
et une exultation de l'intelligence intégrale, spasme orgastique
d'être, n'est pas une expérience intellectuelle, abstraite. Elle
est inaccessible à la pensée intellective. Elle est vécue - comme
l'amour - au-delà des mots, des problématiques, des évaluations
comparatives intellectuelles - hors discussion, hors toute
dialectique de la raison discursive. La rationalité distingue et
définit. Comment pourrait-elle cerner l'infinitude ? Cette fusion,
extrême paroxystique de la surconscience α, nous permet de grandir
jusqu'à être Soleil et de nous contracter jusqu'à la dimension
atomique, totalité vécue entière dans son univocité. Ce que la
rationalité n'admet pas, étant attachée exclusivement à
l'ambiance relationnelle matérielle immédiate du biotype humain.
Par
cette expérience unitive, se prouve qu'il n'y a plus scission entre
intériorité et extériorité. Que toute séparation est illusion.
Que tout est concret. Qu'il n'y a qu'une seule réalité absolue. Et
qu'elle passe par nous. Le miracle est dans le miraculé, non hors de
lui.
Témoin
de la connaissance réalisée, le né nouveau a reconnu en lui toute
la réalité. Par cette expérience reliante, il a compris que tout
est bribes d'un même mot. Il a vécu un état unique d'intégrité,
d'intégralité, de non dualité absolue. Il a atteint, par son
expérience unitive, la maîtrise spatio-temporelle des conditions de
vie biotypiques. Dans son unité plexuelle, maître de ses visions
et, dorénavant, de ses réalisations, ayant supprimé désirs,
aversions, torts, opinions, il devient disponible, pierre d'angle,
vierge, pour la construction.
Il
a atteint la liberté absolue. Il obéit désormais à sa propre loi
qui est la loi éthique unique universelle. Il est lien. Là, il ne
peut faillir. L'axe vertical est inébranlable. Il se situe au-delà
des contingences du choix, de la sélectivité des possibles
chrono-spatiaux, dans la libre disposition de 1'immédiat. Il vit au
présent existentiel. Son intelligence du passé et de l'avenir se
ramasse dans le présent devenir. Chaque moment est un moment radical
d'insertion de l'infini dans la durée - ainsi surmontée.
Le
né nouveau sait, d'expérience, que l'univers sans lui ne peut
exister. Comment y aurait-il un corps vivant si une cellule manquait
? Le né nouveau se fonde désormais sur lui-même, par lui-même (et
non plus par les autres). Et pour les autres. Ce qui l'engage dans la
société. Entièrement. Mais il ne reste pas hors-jeu. Il s'insère
dans le champ social et culturel non pour le plaisir de l'acte
lui-même, mais en vue d'initier à son tour sur la voie de la
chorégraphie existentielle. Et de couper activement les racines du
mal-être (et non seulement quelques branches), hardiment. Ainsi se
consacre l'autorité du connaissant - joie qui se partage
réjouissance. La sacralité est commutative, catalysante.
L'éthique
cosmique est unique : être lien. C'est la seule que se
reconnait le connaissant dans son insertion dans la société. Les
morales ne sont qu'une dégradation entropique de cette éthique
universelle - qui, elle, n'a pas besoin d'être continuellement
requalifiée, réajustée.
Les
hommes ont longtemps considéré le bien comme l'accomplissement d'un
désir intime légitimé et le mal comme tout ce qui s'y oppose. Le
bien a été défini comme tout ce qui permet de gagner et de jouir
de ses biens, le mal comme tout ce qui fait perdre et souffrir. Le
bien comme la marche juste selon la loi sociale et le mal comme la
transgression de cette loi. Ces morales enchaînent, ne sachant
libérer. Le bien est, concrètement, ce qui unit. Le mal ce qui
déchire, sépare, tue aveuglément.
Mais
au niveau de l'absolu, il n'y a aucun dualisme qui s'appelle Bien et
Mal, il n'y a pas d'opposition, d'antagonismes irréconciliables,
bref que les dénommés Bien et Mal n'existent pas - ou n'existent
que dans l'imagination et la logique relative de ceux qui ont perdu
contact avec les lois naturelles. Il n'y a que des lois naturéelles
basées toutes sur la prémisse : être lien. Et tout ce qui
existe doit exister comme conséquence de cette cause. Une même sève
nourrit toutes les matières.
Pour
autant, ces notions apparaissent comme inévitables au plan social,
pour maintenir un équilibre même s'il est à long terme incertain.
Le « mal » peut alors être défini comme n'étant qu'un
moindre bien, le rétroactif face à l'actif, le désaccord, le
désordre, le ratage, la douleur, face à l'harmonie, l'ignorance, la
méconnaissance face à la connaissance, l'erreur face à la vérité,
la négligence de soi face à la recherche de la connaissance, etc.
Reconnaissons qu'il n'y a entre tous les phénomènes qu'une
différence d'interprétation, de nuances discursives et de degrés
dans la recherche de l'harmonie, comme de différentes disponibilités
à l'action. Le mal n'est-il qu'un degré moindre du bien - qui
n'est, alors, considéré que le prolongement du premier vers le
perfectionnement ? Mais, à notre niveau, au plus près de
l'Histoire des hommes, il y eut et il y a encore, au-delà des
oppositions, des haines séculaires et des heurts de volontés
irrémédiablement antagonistes, des comportements humains
inqualifiables tels que les destructions massives et génocidaires
qu'aucune raison politique ou philosophique ne peut justifier.
III - 07 - L'INSERTION DU
CONNAISSANT
DANS LA SOCIÉTÉ
L'intelligence
totale n'est pas un bien acquis. Elle s'éprouve, et c'est son
mérite, au contact de la quotidienneté dans cette ménagerie de
grimes rivés à l'incertain, aux mécomptes, aux futilités et
finalement aux défaites - afin de la surmonter et de témoigner de
son intelligence par l'exemple. Qui a vécu la connaissance entière
ne peut être absent du monde. Et puisqu'il se situe dans la
temporalité biotypique propre à l'homme, il l'assume entièrement.
Son éveil fut une étape - qui lui a appris l'importance de ce nœud
dans l'architecture énergétique du monde.
Axe
de la roue, vivant son lieu central, maître de ses valeurs, il ne se
reconnaît qu'un devoir et aucune de ces vertus reconnues,
fractionnées, compartimentées, étiquetées, vaines, ruses
travesties prétentions, cultivées en qualités, en disciplines
morales, en prescriptions, en règles et codes de moralistes, parures
fragiles, factices, pour masquer la déchéance mondaine et vicier la
vie. Il ne reconnaît que sa loi, la loi universelle, et qu'un
devoir, un et indivisible : être lien. Tout amour. Il donne le
bonheur - jamais la souffrance. Don sans réponse. Et il sait, lui,
que les gens ont besoin de lui pour apprendre ce qu'ils sont, ce
qu'ils valent et ce qu'ils peuvent (- beaucoup).
Il
se reconnait un courage sans peur - qui n'a pas besoin de témoins.
Toutes ses « attitudes » sont conséquences de sa
sérénité. Il utilise ses facultés, toutes, sans jamais en être
possédé. Il ne s'attache pas à ce qui s'épuise. Et la célébrité
ne l'intéresse pas. Il est disponible, souple, agile d'esprit et de
corps, aux réflexes rapides. Entière sensibilité. Rien n'a de
prise sur lui. Sa vie n'est pas adultérée. Elle est une vie
d'action réalisatrice, et non pas de réaction, travestie par les
caprices. Trop lucide pour obéir ou pour subir les errances de ses
semblables, lui-même restant son propre maître, il ne se résigne
pas à ce qui mêle l'inculture à l'imposture, l'avidité à la
ruse. Il se reconnait dépositaire, jamais propriétaire. Il renonce
au superflu. Libre de tout désir, il ne s'accorde nul attachement.
Il sait se suffire de peu. Et sa vie est exempte de revers. Qui n'a
rien, n'a rien à perdre et rien ne l'atteint. Qui thésaurise se
perd. La seule armure sans défaut, c'est la nudité, le détachement
dans le bonheur comme dans l'adversité.
Né
nouveau, il dépasse les dialectiques vaines, le bavardage incessant,
les discussions stériles, les dogmatismes et leurs corollaires, la
hargne et l'irritation. Et s'il doit s'exprimer, ce sera par le
langage pur de la poésie, de la musique, du chant, de la danse... Et
il ne parle que pour dire quelque chose de supérieur au silence.
Son
silence intérieur récuse les mutismes (régressifs) autant que les
bavardages. Il n'est pas discipline, mais compréhension. Que vaut
encore la parole quand on a vécu l'expérience de la connaissance
intégrale, au sommet de soi-même ? Une cruche qui se remplit émet
un gargouillis. Pleine, c'est le silence limpide. La parole est
déploiement, diffusion, dilution, expansion dans la multiplicité
formelle. Elle éblouit et paralyse. Le silence est fusion dans la
simplicité relationnelle. La parole s'épuise dans les malentendus.
Le silence, l'acte unifiant, atteint le centre. Le silence nous
rapproche autant que la parole nous éloigne... Coïncidant
constamment avec lui-même, sans contradictions, dans un état de
bonheur lucide, il vit le maintenant, ici, l'acte qui le fonde là où
il est, rayonnant dans l'invariance de sa plénitude. Il vit au
rythme de sa présence réelle au monde, de sa présence constante à
lui-même, au centre du plein-être. Attentif à l'instant qui surgit
renaissance.
Lucide
vigilance présente d'instant en instant, loin de tout devenir
anxieux, sans attente angoissée du lendemain, sans élucubrations et
mirages, il ne s'encombre pas de calculs, de prévisions, de
possessions, de spéculations, d'appréhensions, de regrets. Sans
négligence (qui est régression), il accomplit tout à la
perfection, pleinement présent à l'acte qu'il accomplit, qui
l'accomplit. Il vit d'acte complet en acte complet, exprimant la vie,
entièrement présent au présent. Sa vie toute est l'acte d'un
instant - dans l'art. D'une motte de glaise, il fera un chef-d'œuvre
- son témoignage - qu'il sait pourtant éphémère. Il ne pense pas
à se prolonger, même pas dans la mémoire des humains. Mort à son
passé, il s'accomplit en perpétuelle renaissance, évitant la
chronologie. Sa vie s'affirme en s'écrivant, faisant coïncider le
geste et le regard, sans geste perdu, inutile au bonheur. Tout alors
accède au sens, accordé à l'essentiel. Il ignore l'habitude, toute
dégradation mécanique où s'ensevelit la conscience, toute
limitation de mouvement, toute inertie...
Et
il ne saurait déprécier, mépriser, comprimer, neutraliser,
abdiquer, rejeter son corps et ses exigences - qui l'obligent, par la
contrainte de la faim, à l'alimenter, et par la contrainte des
intempéries, à le vêtir, etc. Qui rejette la partie, rejette le
tout - et n'a rien compris, n'ayant pas su se joindre et orienter et
maîtriser ses exigences et ses déterminismes biotypiques.
Il
sait qu'il est absurde de vouloir profiter de la vie - puisqu'on est
la vie. Il en a vécu la preuve. Une cellule profite-t-elle du corps
? La soif d'exister n'est qu'une soif de sensations, défense réflexe
à la peur fondamentale de ne plus pouvoir continuer à exister. Il
sait que le temps se construit et se détruit en soi-même, et qu'on
ne peut être prisonniers de la continuité que si on ne la comprend
pas. Enfin, il saura à quel moment il devra se retirer de son corps
fatigué - pour renaître peut-être ailleurs ou autrement, et
continuer son ouvrage d'art. Pour le libéré, la mort est
impossible.
LIENS et VOIES DE RECHERCHE pour aller plus loin
Les
liens orientent généralement vers l'Encyclopédie
libre Wikipedia puis, quand cela s'avère nécessaire, à
l'Encyclopaedia
Universalis.
Superbe dissection de "l'irrationnel"..Un délice !!
RépondreSupprimerAntoine